Bijoy Jain / Studio Mumbai

« Le souffle de l’architecte »

Avec les artistes Alev Ebüzzia et Hu Liu

Fondation Cartier pour l’art contemporain

09.12.2023 – 21.04.2024

Georges Iliopoulos

FR

Dans la fragile lumière de décembre qui baigne la Fondation Cartier comme dans la pénombre de son sous-sol, « Le souffle de l’architecte » invite à une libre exploration sans imposer de parcours prédéterminé. Dans cette exposition qui est le fruit d’une collaboration entre le Studio Mumbai, dirigé par l’architecte indien Bijoy Jain, la céramiste turque Alev Ebüzzia et l’artiste chinoise Hu Liu, le dispositif textuel de médiation est réduit à son minimum pour solliciter une approche avant tout sensible des objets et des structures présentés. À l’entrée, on ne nous donne qu’un bref document de présentation générale et on nous avertit qu’il n’y aura aucune indication à lire dans les quatre salles. Si on le souhaite, on nous remettra toutefois à la fin de notre déambulation un guide de l’exposition (un guide paradoxalement rétrospectif, donc). Un personnel de médiation nombreux répond cependant aux interrogations qui ne manquent pas de surgir pendant la visite. Loin du dogmatisme de certains cartels d’institutions artistiques, on dialogue ainsi au gré des surprises suscitées par les « fragments architecturaux » [1] disposés à travers la Fondation.

Car il s’agit bien de fragments, le plus souvent groupés et alignés : fragments d’espaces et de matières, de volumes et de surfaces, fragments figuratifs également. Dans un essai sur l’espace du jardin ordinaire, Anne Cauquelin a soigneusement distingué le fragment de la fragmentation, entendue comme morcellement regrettable : « En tant que tel, le fragment ne vaut pas grand-chose, c’est une forme inférieure de l’objet. L’objet a été cassé, il n’en reste que certaines bribes, brisées. » [2] Alors que le fragment au sens positif relève selon la philosophe d’une autre logique : « Avec le fragment, en effet, et non plus la fragmentation, nous sommes dans une rhétorique bien différente de la logique de la séparation. Plus exactement, nous sommes dans la logique de “l’après séparé”. Une fois séparé, en effet, le morceau prend la valeur du tout dont il a été séparé ; il vaut pour un ensemble qui n’existe plus mais qui est encore présent à l’esprit. Plus encore, car cette totalité est d’autant plus présente qu’en son absence elle est rêvée, idéalisée ; elle est appelée, convoquée par le fragment comme l’esprit du tout dont il est détaché ; et ce tout hante le fragment de manière insistante. » Dans « Le souffle de l’architecte », il ne s’agit sans doute pas d’un « après séparé » ni probablement d’un quelconque « avant assemblé » d’un bâtiment à venir, que l’objet fragmentaire inviterait ainsi à imaginer plus ou moins précisément. Il s’agit bien plutôt de fragments indéfiniment suspendus, sans origine ni destination, dont la puissance esthétique d’évocation est susceptible de nourrir une rêverie architecturale au cours de laquelle le « cogito du rêveur » [3] d’édifices « se déplace et va prêter son être aux choses ». Une rêverie qui ne s’épuisera jamais tout à fait dans une construction achevée. Des fragments hantés par de possibles architectures.

Une profusion de matières est déployée dans cette exposition où les nuances de leurs teintes, leurs volumes et leurs textures sont remarquablement mis en valeur. On les scrute, on les fouille du regard. Matériau majeur de l’histoire mondiale de l’architecture, la pierre y a une place de choix. Parfois très subtilement mise en forme, elle est au cœur de la pratique coopérative du Studio Mumbai : « Lorsque vous collaborez avec des personnes qui travaillent la pierre, et ce sur tous les continents, elles communiquent à partir du langage du matériau lui-même […] elles peuvent se faire comprendre à travers la façon dont elles interagissent avec le matériau, l’expression peut varier, la relation essentielle reste la même. » [4] Parmi différentes assises, parmi la foule de petites sculptures figuratives qui essaiment dans les salles, on est surpris par d’improbables maquettes en pierre d’éléments architecturaux, d’escaliers notamment ; comme si ces préfigurations devaient participer des architectures minérales à venir, comme si elles devaient nécessairement en partager la substance pour contribuer pleinement à leur élaboration. Une riche trame de contrastes et de complémentarités se tisse par ailleurs entre la pierre (les pierres, devrait-on dire pour en laisser transparaître un peu la diversité) et les qualités esthétiques des nombreuses autres matières mises en œuvre par le Studio Mumbai : le bambou, méticuleusement tissé en cloisons légères ou infléchi et ficelé pour ériger d’impressionnantes études de tazias [5] ; la soie discrète des ficelles qui maintiennent celles-ci solidement et les feuilles d’or qui les rehaussent par petites touches ; la chaux et la bouse de vache utilisées en enduit ; le curcuma, le cadmium ou d’autres pigments comme l’oxyde de fer, créant ensemble une large palette d’ocres plus ou moins vifs et saturés ; la craie, l’asphalte et le goudron ; la brique et la terracotta ; et l’argile douce et mat des céramiques d’Alev Ebüzzia, le graphite xuán (sombre, mystérieux [6]) des dessins de Hu Liu.

La relation sensible à ces multiples matières n’est pas seulement optique. On nous invite ainsi à nous reposer à loisir sur les différentes assises alignées dans les salles de l’exposition. L’haptique, le tactile est donc sollicité ; on effleure les surfaces rugueuses voire granuleuses de certaines pierres, on caresse au contraire le lisse d’un siège laqué à l’urishi [7]. On s’équilibre un moment sur un tabouret, on s’étonne aussi du confort de fins bancs en bambou dont la robustesse est néanmoins assez souple pour s’y détendre tout à fait, occasions d’une proprioception accrue, d’une perception réflexive de notre propre corps, de ses postures et de ses états, de sa fatigue ou de sa vigueur. Nombre des matériaux mis en œuvre sont par ailleurs légèrement odorants ; loin de l’asepsie du désormais canonique (quoique de plus en plus discuté) white cube, les images suggérées par ces senteurs sont celles du grand air, plutôt humides, résolument rurales, organiques, animales et végétales. Dans la salle gauche du rez-de-jardin, un gong est à la disposition des visiteurs et ponctue aléatoirement la quiétude de l’exposition sans pour autant la troubler. Bijoy Jain insiste précisément sur l’importance du silence, aussi bien dans sa pratique d’architecte que dans l’espace de l’exposition : « Le silence a un son, il peut être calme, mais nous l’entendons en nous-mêmes ; c’est le son de notre respiration. » [8] On peut bien sûr penser aux réflexions de John Cage après son passage dans la chambre anéchoïque du laboratoire psycho-acoustique de Harvard, prise de conscience de l’impossibilité d’une expérience de silence absolu par un être vivant (être frémissant, palpitant et donc bruyant au-dedans). On peut se souvenir aussi de la belle exhortation de Valéry qui soulignait à sa manière la paradoxale texture du silence : « Entends ce bruit fin qui est continu, et qui est le silence. Écoute ce que l’on entend lorsque rien ne se fait entendre ». [9] On se remémore aussi les expériences bien ordinaires d’architectures désertes, lorsque les remuements internes de l’organisme répondent au bois qui craque, aux murmures des courants d’air. À l’instar de ces expériences architecturales quotidiennes, riches d’une ample variété de sensations si l’on veut bien y prêter attention, l’expérience à laquelle invite « Le souffle de l’architecte » est intrinsèquement et heureusement poly-sensorielle.

Les curieuses maquettes déjà évoquées se complètent dans l’exposition par d’autres propositions qui pourraient, si on les considérait trop rapidement, paraître seulement préparatoires ou utilitaires : des plans ou plutôt des esquisses de projets architecturaux tracées au pigment jaune (on soupçonne du curcuma sans en être certain) sur des supports de pierre accrochés au mur à la manière de tableaux, et de petits blocs de pierre noire mate creusés qui semblent être des moules, dont on peine pourtant à deviner les objets qu’ils sont susceptibles de produire. Par leur puissante présence matérielle et leurs qualités sensibles propres, par les jeux d’échos, de similitudes ou d’écarts qui s’engagent avec les autres œuvres exposées, elles réfutent pourtant la transitivité qu’on pourrait leur imposer vers de futures réalisations architecturales ou vers d’autres possibles référents. Au moins dans le contexte de cette exposition [10], elles valent d’abord pour elles-mêmes, elles invitent l’attention des visiteurs à s’y déployer activement, à s’y intensifier pour les examiner dans leur singularité sensible, à les réopacifier dans l’élaboration d’une véritable expérience esthétique. Pour reprendre les précieuses analyses de Marianne Massin, « on y considère le sensible pour lui-même, de manière intransitive […] et non comme le vecteur transparent d’une figure reconnaissable (ou du dévoilement d’un sens […]), on ne le réduit pas non plus à n’être que le signe de quelque chose ou un indice qui renverrait à une causalité extérieure et commanderait une action. En ce sens, cette opération d’autonomisation du sensible est aussi libération ; elle libère non seulement des urgences pratiques, mais des référents assignés ou des modes de perception habituels. » [11] Si l’on accepte d’en prendre le temps, on peut notamment goûter le contraste délicat des géométries jaunes et du gris presque moucheté de leur support, ou le jeu changeant des rayons du soleil sur les anfractuosités de la pierre sombre, occasion ainsi offerte de peut-être saisir « toutes les couleurs du noir » [12].

Au long de la visite, la notion de souffle choisie pour intituler l’exposition devient peu à peu prégnante, surtout par le jeu complexe qui s’établit continument entre intériorité et extériorité. Catherine Chalier a insisté sur cet aspect fondamental de la respiration, dont elle rappelle qu’elle constitue chez les vivants « l’échange primordial entre le dehors et le dedans » [13]. Dans « Le souffle de l’architecte », ce jeu se développe de plusieurs manières.

L’exposition elle-même s’étend de part et d’autre des murs ou plutôt des immenses baies vitrées de la Fondation Cartier. Sur le sentier qui contourne sur sa gauche le bâtiment pour mener vers le jardin arrière, la sculpture anthropocéphale Nazu Battu est d’ailleurs la première œuvre qu’on rencontre, avant même d’entrer dans l’édifice. Au fond du jardin se dresse une monumentale étude de tazia. Mais ces œuvres « extérieures » ne sont pas pour autant séparées du reste de l’exposition, car elles restent constamment visibles depuis les salles supérieures ; celles-ci peuvent réciproquement être observées avec toutes les œuvres qu’elles abritent depuis le jardin. À l’intérieur même du bâtiment, le jeu entre intériorité et extériorité se redouble de trois manières au moins. La cour que constitue Prima Materia délimite clairement un espace central au milieu de la salle gauche du rez-de-jardin, tout en préservant la possibilité d’une visibilité et d’une accessibilité fluides : il s’agit en effet moins d’un cloisonnement étanche que de délimitations poreuses et de seuils démultipliés invitant justement les visiteurs à la traversée. En miroir dans la salle droite, la surface de Kalyani Abstract Water Drawing circonscrit elle aussi une certaine étendue qu’on ne peut pas arpenter mais qui structure visuellement l’espace d’exposition. Elle distingue ainsi un centre et des marges dans une gradation depuis l’extériorité vers l’intériorité, accentuée par les assises qui entourent à équidistance l’œuvre et qui nous font tourner le dos aux baies vitrées donnant sur le jardin. D’une manière certes bien différente, la descente au sous-sol plongé dans la pénombre peut également être vécue comme un redoublement de l’intériorité du bâti : on s’enfonce dans une profondeur bien plus intime que les volumes supérieurs, aériens et transparents de l’édifice, dans un dedans architectural qui semble cette fois beaucoup plus hermétique au monde extérieur mais qui est pourtant lui aussi troublé dans son apparente clôture. Au sol de la salle principale, la troupe de petites sculptures, surtout animales, peut évoquer l’espace du jardin ou l’ornementation extérieure de temples ou de palais. Certaines œuvres fixées au mur ont l’air de panneaux d’étranges portes, comme autant de possibles échappées vers l’ailleurs. Accrochés dans la salle la plus recluse, les dessins de Hu Liu ouvre celle-ci à un dehors nocturne, conciliant l’élan vers le paysage et le repli dans la rêverie.

Par ce jeu feuilleté entre intérieur et extérieur, l’exposition rejoint la pratique quotidienne du Studio Mumbai et de Bijoy Jain dont la démarche consiste notamment à « négocier avec le climat, la pluie, le rythme des saisons, prendre en compte la nature » [14]. Dans une perspective heideggérienne, on pourrait dire avec Céline Bonicco-Donato qu’il s’agit d’« accueillir le ciel plutôt que de s’en protéger » [15]. Le « ciel », c’est-à-dire les innombrables « phénomènes temporels, climatiques et atmosphériques, l’impermanent et l’immatériel » : « Une construction qui respecte le ciel sera celle qui témoigne d’une sensibilité à l’alternance du jour et de la nuit et au rythme des saisons, en un mot à la fuite du temps ; une attention aux différentes variations atmosphériques auxquelles elle s’adaptera plutôt que de les mettre à distance ». Comme en écho à la respiration physiologique des êtres vivants, un échange architectural permanent peut en effet s’établir entre l’intime et l’ailleurs, une dynamique fluide qui réunit le repli et l’ouvert, la relation et la séparation. C’est à la fois un profond ancrage dans le monde et l’affirmation d’une singularité concrète : « Dans le souffle, le temps d’un instant, l’animal et le cosmos se rejoignent et scellent une unité différente de celle que marque l’être ou la forme. C’est pourtant avec et dans ce même mouvement que vivant et monde consacrent leur séparation. Ce que nous appelons vie n’est que ce geste à travers lequel une portion de la matière se distingue du monde avec la même force qu’elle utilise pour s’y confondre. Souffler, c’est faire monde, se fondre en lui, et dessiner à nouveau notre forme dans un exercice perpétuel. » [16] À côté des innovations très souvent enthousiasmantes du biomimétisme en architecture, cette exposition invite ainsi à envisager la respiration vivante comme une possible idée directrice de la pensée et de la pratique architecturales. Idée d’une architecture qui souffle, qui inspire et expire pour faire monde en dessinant sa propre forme, idée du souffle de l’architecture elle-même et non plus seulement du souffle de l’architecte. À une époque où, comme le souligne avec justesse Marielle Macé, l’architecture et le design partagent la conviction que nous habitons « moins des espaces que des climats, moins des formes que des ambiances » [17], et sans cependant rien renier de l’indispensable matérialité tangible comme atmosphérique au sein de laquelle nous vivons, l’exposition « Le souffle de l’architecte » nous fait la belle promesse d’une architecture vivante, d’une architecture qui respire : « Une architecture qui voudrait s’adresser en nous à la sensibilité tout entière (et plus seulement à l’œil) et à la sociabilité tout entière ; une architecture qui n’emmurerait pas, ne contiendrait pas mais soignerait ses pores, ses membranes et ses seuils ; une architecture qui rêve (et parvient parfois) à des maisons-poumons […]. » La promesse d’une architecture où reprendre son souffle, où respirer soi-même et s’inspirer aussi [18].

Sad + Associates Georges Iliopoulos philosophie
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EN

In the frail December light that fills the Fondation Cartier and in the semi-darkness of its underground level, "Breath of an Architect" invites visitors to explore freely, without imposing a predetermined itinerary. The exhibition is the result of a collaboration between Studio Mumbai, directed by Indian architect Bijoy Jain, Turkish ceramist Alev Ebüzzia and Chinese artist Hu Liu. Here the written mediation has been kept to a bare minimum, to encourage a primarily sensitive approach to the objects and structures on display. When we enter, all we are given is a brief general presentation document, and we are warned that there is no further indication to read in the four halls. At the end of our visit, however, we are given if we want a guide to the exhibition (a guide which is paradoxically retrospective). But a large number of staff are present to answer the many questions that may arise during the visit. Far from the dogmatism of some exhibition labels, we are invited to engage in dialogue as we are surprised by the "architectural fragments" [1] displayed in the Fondation.

They are indeed fragments, most often grouped and aligned: fragments of spaces and materials, of volumes and surfaces, figurative fragments too. In an essay on the space of the ordinary garden, Anne Cauquelin carefully distinguished fragment from fragmentation, understood as a regrettable breaking up: "As such, the fragment is not worth much; it is an inferior form of the object. The object has been broken, and only bits and pieces remain." [2]. In the philosopher's view, the fragment in the positive sense follows a different logic: "With fragment, in fact, and not fragmentation, we are dealing with a rhetoric that is very different from the logic of separation. To be more precise, we are in the logic of 'after separation'. Once separated, in fact, the piece takes on the value of the whole from which it was separated; it stands for a whole that no longer exists but is still present in the mind. More than that, because this totality is all the more present in that in its absence it is dreamt of, idealised; it is called up, summoned by the fragment like the spirit of the whole from which it is detached; and this whole haunts the fragment insistently." In "Breath of an Architect", we are certainly not dealing with an "after separation", and probably not with any kind of "before assembling" of a building to come, which the fragmentary object would invite us to imagine more or less precisely. Rather, the fragments here are indefinitely suspended, without origin or destination, and their aesthetic power of evocation is likely to nourish an architectural reverie, in which the "cogito of the dreamer" [3] of buildings "moves and lends their being to things". A reverie that will never be completely exhausted in a finished building. Fragments haunted by possible architectures.

A profusion of materials is on display in this exhibition, where the nuances of their hues, their volumes and their textures are remarkably highlighted. We scrutinise them, exploring them closely with our eyes. Stone, a major material in the history of architecture worldwide, is given a prominent role here. Sometimes very subtly shaped, it is at the heart of the Studio Mumbai cooperative practice: "When you collaborate with people who work with stone, on every continent, they communicate using the language of the material itself [...] they can make themselves understood through the way they interact with the material, the expression may vary, the essential relationship remains the same" [4]. Among the various seatings and the crowd of small figurative sculptures spread throughout the rooms, we are surprised by unlikely stone maquettes of architectural elements, staircases in particular; as if these prefigurations had to be of the nature of the mineral architectures to come, as if they had to share their substance in order to contribute fully to their elaboration. A rich web of contrasts and complementarities is woven between the stone (or should we say stones, to give a glimpse of their diversity) and the aesthetic qualities of the many other materials used by Studio Mumbai: bamboo, meticulously woven into light partitions or bent and tied to erect impressive studies of tazias [5]; the discreet silk of the strings that hold them firmly in place and the gold leaf that enhances them in small touches; the lime and cow dung used as plaster; turmeric, cadmium and other pigments such as iron oxide, creating a wide palette of more or less vivid, saturated ochres; chalk, asphalt and tar; brick and terracotta; and the soft, matt clay of Alev Ebüzzia's ceramics, the xuán (dark, mysterious [6]) graphite of Hu Liu's drawings.

The sensitive relationship with these multiple materials is not just optical. We are invited to rest at will on the various seats lined up in the exhibition rooms. The haptic and tactile experience is stimulated, as we touch the rough or grainy surfaces of some of the stones, or caress the smooth surface of an urishi-lacquered seat [7]. We try to find balance for a moment on a stool, and are surprised by the comfort of thin bamboo benches, which are nonetheless flexible enough to allow us to relax completely; all these providing an opportunity for increased proprioception, a reflexive perception of our own bodies, of their postures and conditions, their fatigue or vigour. Many of the materials used are also slightly fragrant; far from the asepsis of the now canonical (though increasingly debated) white cube, the images suggested by these scents are those of the outdoors, rather damp, resolutely rural, organic, animal and vegetal. In the left-hand room on the garden level, a gong is available to visitors, randomly punctuating the tranquillity of the exhibition without disturbing it. Bijoy Jain insists precisely on the importance of silence, both in his architectural practice and in the exhibition space: "Silence has a sound, it can be calm, but we hear it within ourselves; it is the sound of our breathing.” [8] This brings to mind John Cage's reflections after his experience in the anechoic chamber of Harvard's psycho-acoustic laboratory, when he realised that it was impossible for a living being (a quivering, pulsating and therefore internally noisy being) to experience absolute silence. We can also recall Valéry's fine exhortation, which underlined in his own way the paradoxical texture of silence: "Hear this fine noise which is continuous, and which is silence. Listen to what is heard when nothing is heard" [9]. We are also reminded of the very ordinary experiences of deserted architecture, when the internal movements of the organism respond to the creaking wood and the murmur of air currents. Like these everyday architectural experiences, rich with a wide variety of sensations if we are willing to pay attention, the experience to which "Breath of an Architect" invites us is intrinsically and fortunately poly-sensory.

The curious maquettes already mentioned are accompanied in the exhibition by other works which, if considered too hastily, might appear to be merely preparatory or utilitarian: plans or rather sketches of architectural projects traced in yellow pigment (we suspect turmeric, without being certain) on stone surfaces hung on the wall like paintings, and small hollowed-out blocks of matt black stone that appear to be moulds (yet it is difficult to guess what they are likely to produce). Through their powerful material presence and their own sensitive qualities, through the interplay of echoes, similarities and differences with the other works on display, they refute the transitivity that might be imposed on them towards future architectural achievements or other possible referents. At least in the context of this exhibition [10], they are valued first and foremost for their own sake, inviting visitors' attention to be actively deployed and intensified in order to examine them in their sensitive singularity, to reopacify them in the elaboration of a genuine aesthetic experience. To quote Marianne Massin's insightful analysis, "the sensitive is considered for itself, intransitively [...] and not as the transparent vector of a recognisable figure (or of the unveiling of a meaning [...]), nor is it reduced to being merely the sign of something or an index that would refer to an external causality and command an action. In this sense, this operation of autonomising the sensible is also a liberation; it frees us not only from practical urgencies, but also from assigned referents and usual modes of perception.” [11] If we take the time, we can enjoy the delicate contrast between the yellow geometries and the almost speckled grey of their support, or the changing play of the sun's rays on the cracks in the dark stone, an opportunity to grasp some of "all the colours of black" [12].

 

Throughout the visit, the notion of breath, chosen as the title of the exhibition, gradually becomes prominent, especially through the complex interplay that is continually established between interiority and exteriority. Catherine Chalier has emphasised this fundamental aspect of breathing, reminding us that in living beings it "constitutes the primordial exchange between the outside and the inside" [13]. In "Breath of an Architect", this interplay develops in several ways.

The exhibition itself stretches out on either side of the walls, or rather the immense glass façades of the Fondation Cartier. On the path that runs around the left side of the building towards the back garden, the anthropocephalic sculpture Nazu Battu is the first work you come across, even before you enter the building. At the far end of the garden stands a monumental study of a tazia. However, these "exterior" works are not separated from the rest of the exhibition, since they are constantly visible from the upper rooms, which in reverse can be observed from the garden along with all the other works they contain. Inside the building itself, the interplay between interiority and exteriority is redoubled in at least three ways. Prima Materia's courtyard clearly delimits a central space in the middle of the left-hand room on the garden level, while preserving the possibility of a fluid visibility and accessibility: it is less a question of impermeable partitioning than of porous delimitations and multiple thresholds that invite visitors to cross. Mirroring Prima Materia in the right-hand room, the surface of Kalyani Abstract Water Drawing also circumscribes a certain extent that we cannot walk over, but which visually structures the exhibition space. It distinguishes a centre and margins in a gradation from exteriority to interiority, accentuated by the seats that surround the work equidistantly and make us turn our backs on the bay windows overlooking the garden. In a very different way, the descent into the semi-dark basement can also be experienced as a doubling of the interiority of the building: we are plunged into a depth that is much more intimate than the upper, airy and transparent volumes of the building, into an architectural interior that this time seems much more hermetic to the outside world, but which is also disturbed in its apparent enclosure. On the floor of the main room, the troop of small sculptures, mostly of animals, might evoke the space of the garden or the exterior ornamentation of temples or palaces. Some of the works fixed to the wall look like strange door panels, like potential ways out of the room. Hung in the most reclusive room, Hu Liu's drawings open it up to a nocturnal exterior, reconciling the impulse towards the landscape and the retreat into reverie.

In this interplay between interior and exterior, the exhibition reflects the daily practice of Studio Mumbai and Bijoy Jain, whose approach involves "negotiating with the climate, the rain, the rhythm of the seasons, taking nature into account" [14]. From a Heideggerian perspective, we could say with Céline Bonicco-Donato that it's a question of "welcoming the sky rather than protecting ourselves from it" [15]. The "sky", in other words the countless "temporal, climatic and atmospheric phenomena, the impermanent and the immaterial": "A building that respects the sky will be one that shows sensitivity to the alternation of day and night and to the rhythm of the seasons, in a word to the passage of time; an attention to the various atmospheric variations to which it will adapt rather than keeping them at a distance". Echoing the physiological breathing of living beings, a permanent architectural exchange can be established between the intimate and the outer, a fluid dynamic that unites withdrawal and openness, connection and separation. It is both a profound anchoring in the world and the affirmation of a concrete singularity: "In breath, for the time of an instant, the animal and the cosmos come together and seal a unity different from that marked by being or form. Yet it is with and in this same movement that the living and the world consecrate their separation. What we call life is simply the gesture through which a portion of matter distinguishes itself from the world with the same force that it uses to merge with it. To breathe is to make the world, to melt into it, and to draw our form anew in a perpetual process.” [16] Alongside the often exciting innovations of biomimetics in architecture, this exhibition invites us to consider living breath as a possible guiding idea for architectural thought and practice. The idea of an architecture that inhales and exhales to participate in making the world while shaping its own form, the idea of the breath of architecture itself and not just the breath of an architect. At a time when, as Marielle Macé rightly points out, architecture and design share the conviction that we live "less in spaces than in climates, less in forms than in ambiences" [17], and yet without denying the essential tangible and atmospheric materiality in which we live, the exhibition "Breath of an Architect" offers us the beautiful promise of a living architecture, of an architecture that breathes: "An architecture that aims to appeal to our entire sensibility (and not just to the eye) and to our entire sociability; an architecture that would not enclose or contain, but would take care of its pores, its membranes and its thresholds; an architecture that dreams of (and sometimes achieves) lung-houses [...]." The promise of an architecture where you can catch your breath, where you can breathe and inspire yourself [18].

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Vues de l’exposition / Exhibition views

Photos © Marc Domage

[1] Si l’impression d’appréhender des réalités fragmentaires est certes puissante pendant toute la visite, nous reprenons cette expression au… guide de l’exposition (p. 3). / While the impression of apprehending fragmentary realities is certainly powerful throughout the visit, we take this expression from... the exhibition guide (p. 3).

[2] Anne Cauquelin, Petit traité du jardin ordinaire, Paris, Payot & Rivages (« Rivages Poches / Petite Bibliothèque »), 2005, p. 110. Citation suivante, ibid. p. 113.

[3] Gaston Bachelard, La poétique de la rêverie [1960], Paris, PUF, 1974, p. 124. Citation suivante, ibid. p. 139.

[4] Propos de Bijoy Jain cité dans le guide de l’exposition (p. 9)

[5] « Les tazias sont des cénotaphes miniatures destinées à être portés sur les épaules lors de processions religieuses. » (« guide visiteur » de l’exposition, ibid.) / "Tazias are miniature cenotaphs designed to be carried on the shoulders during religious processions." (exhibition “visitor guide”, ibid.)

[6] Terme utilisé par l’artiste (ibid. p. 13).

[7] Indication du guide de l’exposition (p. 11).

[8] Propos cité dans le guide de l’exposition (p. 3).

[9] Paul Valéry, Tel Quel, in Œuvres, t. II, Gallimard (« Bibliothèque de la Pléiade »), 1960, p. 656-657.

[10] Le guide de l’exposition souligne certes qu’au sein du Studio Mumbai les « idées sont explorées à travers la production de modèles réduits, d’objets, d’études de matériaux et de dessins » (p. 5). Ces éléments présentent donc bien une dimension transitive, au moins temporairement dans le contexte d’élaboration et de conception des projets architecturaux. / The exhibition guide does point out that at Studio Mumbai "ideas are explored through the production of scale models, objects, material studies and drawings" (p. 5). So these elements do have a transitive dimension, at least temporarily in the context of the elaboration and conception of architectural projects.

[11] Marianne Massin, Expérience esthétique et art contemporain, Rennes, PUR (« Æsthetica »), 2013, p. 40.

[12] Michel Pastoureau, Noir. Histoire d’une couleur [2008], Paris, Éditions du Seuil (« Points – Histoire »), 2014, p. 177.

[13] Catherine Chalier, L’inspiration du philosophe. L’amour de la sagesse et sa source prophétique, Paris, Albin Michel, 1996, p. 70.

[14] Guide de l’exposition, p. 5.

[15] Céline Bonicco-Donato, Heidegger et la question de l’habiter. Une philosophie de l’architecture, Marseille, Éditions Parenthèses (« Eupalinos »), 2019, p. 60. Citations suivantes, ibid. p. 49 et p. 60.

[16] Emanuele Coccia, La vie des plantes. Une métaphysique du mélange, Paris, Éditions Payot & Rivages (« Bibliothèque Rivages »), 2016, p. 76.

[17] Marielle Macé, Respire, Paris, Éditions Verdier (« La petite jaune »), 2023, p. 54. Citation suivante, ibid.

[18] Sur les liens étroits entre la notion d’inspiration et l’image de la respiration / On the close links between the notion of inspiration and the image of breathing: Marianne Massin, La pensée vive. Essai sur l’inspiration philosophique, Armand Colin (« L’inspiration philosophique »), 2007, p. 194-204.